Dans les années 1950 et 1960, un seul acronyme faisait battre le cœur du monde : B.B. Brigitte Bardot n’était pas seulement une actrice. Elle était un phénomène, un symbole sexuel international, la révolution faite femme. Avec sa chevelure blonde en bataille, sa moue boudeuse et son corps sculptural dans “Et Dieu… créa la femme”, elle a fait de Saint-Tropez son royaume et du bikini son étendard. Elle était l’incarnation de la liberté, désirée par tous.
Mais derrière la façade dorée de la muse de Saint-Tropez, derrière les flashs des paparazzis et les 48 films, se cachait une femme en lutte permanente. Une femme qui, malgré la gloire, l’argent et une centaine d’amants, n’a jamais trouvé la paix. Aujourd’hui, à l’aube de ses 90 ans, l’icône mondiale vit une existence recluse, presque triste, hantée par une vie de tragédies personnelles, de relations tumultueuses et d’un regret maternel si profond qu’il lui a valu un procès. La vie de Brigitte Bardot est l’histoire d’une femme qui avait tout pour être heureuse, mais qui n’y est jamais parvenue.
L’enfance brisée : Le lapin et le “vous”
Pour comprendre la tragédie Bardot, il faut remonter à son enfance dans un appartement luxueux du 16e arrondissement de Paris. Élevée par des parents, Louis Bardot et Anne-Marie Musel, dans un milieu catholique strict et conservateur, la jeune Brigitte n’a jamais connu la chaleur émotionnelle. L’étiquette et la discipline remplaçaient l’affection. Sa mère, particulièrement froide, critiquait constamment son apparence, sapant sa confiance en elle.

Deux incidents de son enfance révèlent la dureté de ce foyer. Le premier est celui de son lapin de compagnie bien-aimé, Noireau. Un jour, ses parents l’ont tué et l’ont servi pour le dîner. Cet acte barbare a probablement semé les graines de son engagement futur pour les animaux. Le second, tout aussi révélateur, survint lorsque Brigitte et sa sœur cassèrent accidentellement un vase de valeur. Leur père les fouetta vingt fois chacune. Mais la punition la plus cruelle fut psychologique : ses parents se mirent à les vouvoyer, utilisant le “vous” formel réservé aux étrangers. Du jour au lendemain, elle est devenue une étrangère dans sa propre maison.
Cette enfance, privée d’amour et marquée par l’isolement, a créé une femme avec une soif insatiable d’affection, mais paradoxalement incapable d’en donner ou d’en recevoir de manière saine.
La cage dorée : 4 maris et 100 amants
Sa carrière cinématographique fut son évasion. Découverte par Roger Vadim, elle l’épouse à 18 ans. C’est lui qui la propulse au rang de star mondiale avec “Et Dieu… créa la femme” en 1956. Mais la liberté qu’elle incarne à l’écran, elle la pratique aussi dans la vie. Sur le tournage, elle entame une liaison passionnée avec son partenaire, Jean-Louis Trintignant. Le mariage avec Vadim ne survit pas.
Sa vie amoureuse devient alors un tourbillon, une quête éperdue pour combler le vide de son enfance. Elle se marie une deuxième fois avec l’acteur Jacques Charrier en 1959. Ce sera le mariage le plus tragique, car il lui donnera son seul enfant, Nicolas.
Après leur divorce, elle enchaîne les liaisons. Son troisième mariage avec le millionnaire allemand Gunter Sachs en 1966 est un spectacle médiatique. Il la courtise en faisant pleuvoir des milliers de roses depuis un hélicoptère sur sa villa, La Madrague. Ils se marient à Las Vegas. Quelques jours à peine après leur retour, Bardot aurait commencé une liaison avec le chanteur Mike Sarn. Le mariage ne dure que trois ans.
Pendant qu’elle était encore mariée à Sachs, elle vit une liaison torride avec Serge Gainsbourg, enregistrant la première version sulfureuse de “Je t’aime… moi non plus”. Les sons intimes capturés dans la cabine d’enregistrement étaient si explicites que Bardot, effrayée, supplia Gainsbourg de ne pas sortir la chanson. Il la sortira plus tard avec Jane Birkin.
Avec plus de 100 amants revendiqués, hommes et femmes, B.B. était l’incarnation de la révolution sexuelle. Mais chaque conquête semblait la laisser plus seule encore.

La tragédie ultime : “J’aurais préféré accoucher d’un petit chien”
De toutes les tragédies de sa vie, la plus sombre reste sa relation avec son fils unique, Nicolas-Jacques Charrier. Brigitte Bardot n’a jamais voulu être mère. “Je ne suis pas faite pour être mère,” avouera-t-elle. Dans son autobiographie “Initiales B.B.”, elle décrit sa grossesse avec une horreur viscérale, la comparant à une “tumeur” qui grandissait en elle. Elle raconte s’être frappé l’abdomen à plusieurs reprises et avoir supplié son médecin pour de la morphine afin de déclencher un avortement, alors illégal.
Mais la phrase qui scellera son destin de mère est celle qu’elle prononcera lors d’une conférence de presse, et qu’elle réitérera dans son livre : elle aurait “préféré accoucher d’un petit chien”.
Ces mots sont d’une violence inouïe. Elle a vécu la naissance de son fils comme un traumatisme. Incapable de s’en occuper, c’est son mari Jacques Charrier qui obtiendra la garde totale de l’enfant après leur divorce. Nicolas sera élevé par la famille de son père, loin de sa mère biologique.
Pendant des décennies, la relation est rompue. Lorsque B.B. publie son autobiographie en 1996, Nicolas, alors adulte, et son père la traînent en justice pour violation de la vie privée et pour les propos terribles tenus à son égard. Ils gagnent le procès. L’actrice est condamnée à payer des dommages et intérêts. Pendant près de 10 ans, ils ne se verront pas. Ce n’est qu’en 1992, grâce à son quatrième et dernier mari, Bernard Dormal, qu’une réconciliation fragile s’opère.
La fuite : Des hommes aux animaux, de l’icône à la paria
En 1973, à seulement 38 ans, au sommet absolu de sa gloire, Brigitte Bardot fait une chose impensable : elle prend sa retraite. L’incident déclencheur est, là encore, lié à un animal. Lors d’un tournage, elle rencontre une femme promenant une petite chèvre. Elle l’achète et la ramène dans sa caravane, puis à son hôtel cinq étoiles. Face à cet animal, elle a une révélation. “Est-ce ainsi que je vieillirai dans le cinéma ?”, s’interroge-t-elle. Elle décide que non.
Elle tourne le dos à la célébrité qui, selon ses propres termes, “l’étouffait et la détruisait”. Elle vend ses biens aux enchères pour créer la Fondation Brigitte Bardot. Elle s’y jette corps et âme, troquant les humains qui l’ont tant déçue contre les animaux, la seule source d’amour inconditionnel qu’elle ait jamais vraiment acceptée.
Mais cette passion devient aussi sa nouvelle prison. Son militantisme intransigeant la rend de plus en plus controversée. L’icône de la liberté devient une figure de l’intolérance. Elle est condamnée à six reprises par la justice française pour incitation à la haine raciale, notamment pour ses propos virulents contre les musulmans et les habitants de l’île de La Réunion, qu’elle qualifie de “sauvages”. Le sex-symbol adulé devient une paria, une figure gênante de l’extrême droite française.
La triste fin à La Madrague

Aujourd’hui, Bardot vit recluse dans sa propriété de La Madrague, à l’abri des regards. Sa santé, autrefois éclatante, est devenue son ennemie. Elle a survécu à un cancer du sein en 1983, après avoir initialement refusé le traitement. Elle souffre de dépression sévère depuis des décennies, avouant de multiples tentatives de suicide. “La vie est faite uniquement du meilleur et du pire”, a-t-elle écrit, et elle a assurément connu les deux extrêmes.
Physiquement, elle est brisée. Elle souffre d’une double arthrite dégénérative qui la ronge. Elle refuse la chirurgie, par peur de l’anesthésie. La femme qui faisait courir le monde ne peut plus se déplacer sans cannes, prisonnière de la douleur. L’été dernier, les services d’urgence ont dû intervenir à son domicile alors qu’elle souffrait d’une grave détresse respiratoire, son mari Bernard Dormal expliquant qu’elle “ne supporte plus la chaleur”.
La vie de Brigitte Bardot est une tragédie grecque moderne. Celle d’une femme façonnée par un manque d’amour, qui est devenue l’objet du désir du monde entier sans jamais pouvoir s’aimer elle-même. En fuyant les humains pour les animaux, elle a trouvé une cause, mais aussi une nouvelle forme de haine. À l’aube de ses 90 ans, l’icône vit une existence solitaire, une triste fin de partie pour la femme que Dieu avait pourtant créée pour être aimée.