C’est un coup de tonnerre. Une déflagration silencieuse mais dévastatrice dans le monde feutré du paysage audiovisuel français. Anne-Sophie Lapix, 53 ans, la figure hiératique et incisive du journal de 20 heures de France 2, serait sur le point d’être remerciée. “Virée”. Le mot est lâché, brutal, et il résonne avec la violence d’une exécution médiatique. Huit ans après avoir pris les rênes du journal le plus prestigieux du service public, celle qui avait imposé un style fait de fermeté souriante et d’impertinence calculée ne ferait “plus l’unanimité”.
Surtout, et c’est là que le bât blesse, “chez ceux qu’elle interroge”.
Selon les révélations explosives du Parisien, la décision serait même “déjà actée en interne”. Un couperet tombé en coulisses, dans l’attente d’un communiqué officiel qui viendra habiller la réalité d’une pudeur sémantique. Mais la nouvelle est là : la messe est dite. Et la question qui brûle toutes les lèvres n’est pas “qui ?” mais “pourquoi ?”. Pourquoi se séparer d’une journaliste qui, malgré une érosion, tient la barre d’une institution ?
La réponse officielle, celle qui servira de paravent, est facile à deviner : les audiences. Depuis plusieurs trimestres, le JT de France 2 accuse un “léger recul”, peinant à concurrencer la machine de guerre de TF1. Dans un univers où la direction de France Télévisions cherche à “repositionner ses figures de proue”, cet argument, même “modéré”, pèse lourd.

Mais personne n’est dupe. Ce n’est pas une simple guerre de chiffres qui coûte son siège à Anne-Sophie Lapix. C’est une guerre d’influence. La véritable raison est politique. Anne-Sophie Lapix paie le prix de son indépendance.
Son crime ? Avoir fait son travail de journaliste. Son style “incisif”, ses “relances pointues” et ses “formules qui dérangent” ont fini par irriter au plus haut point la classe politique. “Beaucoup de politiques ne veulent plus venir chez la Pix”, confie une source proche de la direction. Un véritable bras d’honneur adressé à la journaliste, qui se transforme en problème stratégique. Car dans une “grand-messe” comme le 20 heures, la présence d’invités ministériels est “cruciale”. Si les ministres boudent, le journal perd de sa superbe.
Et ils boudent. On se souvient de ce moment de télévision glacial, en 2021, où Xavier Bertrand, visiblement déstabilisé, avait été mis “mal à l’aise” par un interrogatoire sec. On parle aussi de Gabriel Attal, réputé “peu enthousiaste” à l’idée de se confronter à elle. Anne-Sophie Lapix ne déroule pas le tapis rouge ; elle pose les questions qui fâchent.
Elle a été “trop offensive”. Cette petite phrase, lâchée en coulisses, résume tout le drame. Trop offensive “dans un système où la connivence est souvent préférée à la confrontation”. Surtout, précise-t-on, “sur les chaînes publiques”.
C’est là que se niche le paradoxe le plus douloureux. Une journaliste du service public, payée par la redevance (et donc par les citoyens), se verrait reprocher de questionner le pouvoir avec trop d’insistance. On ne lui demande pas d’informer, mais de communier. On ne lui demande pas d’être une intervieweuse, mais une hôtesse. Le message envoyé est terrible : le journalisme critique a “ses limites” sur le service public, surtout “lorsqu’il finit par déranger les partenaires institutionnels”.
Cette éviction, si elle se confirme, est bien plus qu’un simple mercato télévisuel. C’est le symptôme d’une maladie qui ronge le journalisme : la soumission au pouvoir politique et à la dictature de l’image.

Anne-Sophie Lapix n’a jamais été une “journaliste de combat” au sens militant du terme. Elle a simplement maintenu une ligne de rigueur journalistique là où beaucoup de ses confrères ont choisi la complaisance. Elle a refusé de transformer son plateau en une tribune confortable pour le gouvernement en place. Elle a continué à interroger, à pousser ses invités dans leurs retranchements, à chercher la petite bête. C’est exactement ce pour quoi elle a été embauchée. C’est aujourd’hui la raison pour laquelle on la chasse.
Cette décision illustre une évidence tragique : le journalisme “de moins en moins sa place” dans un paysage audiovisuel dominé par “des logiques d’image et de diplomatie”. On ne veut plus de vagues. On ne veut plus de confrontations. On veut de la communication, de la douceur, des interviews qui ressemblent à des conversations de salon.
Le départ d’Anne-Sophie Lapix serait une victoire pour ceux qui pensent que le 20 heures n’est pas fait pour bousculer le citoyen, mais pour le rassurer. Ce serait une victoire pour ces “partenaires institutionnels” qui pourront de nouveau venir sur le plateau de France 2 sans craindre d’être mis “mal à l’aise”.
Mais pour le public ? Pour la démocratie ? C’est une défaite. C’est le signe qu’en 2025, en France, une journaliste peut perdre son poste non pas pour avoir mal fait son travail, mais pour l’avoir trop bien fait. Pour avoir oublié que dans le “système”, on ne touche pas impunément au pouvoir. On ne dérange pas. On ne pose pas de questions. On sourit, et on lance le sujet suivant.
Anne-Sophie Lapix a refusé de sourire. Elle a refusé la connivence. Elle a posé les questions. Elle paie aujourd’hui le prix fort de cette indépendance. Et c’est tout le service public qui paie avec elle.
