Perchée entre les collines lumineuses de Monticello et les rivages de Lumio, la villa corse de Jacques Dutronc n’est pas seulement une demeure : c’est un sanctuaire, un repaire, un lieu habité par la mémoire. À 82 ans, le chanteur, acteur et dandy à la nonchalance légendaire vit aujourd’hui à l’écart du tumulte, dans cette maison qui lui vient en partie de celle qui fut l’amour de sa vie : Françoise Hardy.
Car derrière les pierres blondes de cette bâtisse méditerranéenne se cachent des années de complicité, de silence partagé et de mélancolie élégante. La villa fut, un temps, un refuge pour le couple atypique qu’ils formaient. Françoise Hardy, discrète, sensible, intellectuelle et douloureusement lucide sur la vie, y venait pour se ressourcer, loin de Paris, loin des plateaux de télévision.
Jacques, quant à lui, y a progressivement élu domicile, jusqu’à en faire son port d’attache définitif. Aujourd’hui, alors que Françoise Hardy lutte contre la maladie à Paris, lui demeure en Corse, dans cette maison qui résonne encore de son rire discret et de sa voix douce.
Cette villa, on pourrait presque la considérer comme le dernier lien tangible entre eux, un héritage affectif et émotionnel. Dans ses murs, Jacques Dutronc vit entouré de souvenirs. Les photographies en noir et blanc, les vinyles usés par le temps, les livres annotés, les meubles patinés par les années forment une mémoire vivante. On dit qu’il ne change rien à l’intérieur, comme pour ne pas briser le fil invisible qui le relie à Françoise. Même les silences, ici, ont une densité particulière.
Le couple Dutronc-Hardy fut toujours un mystère fascinant. Mariés en 1981 après plus de quinze ans de vie commune, ils ne correspondaient à aucun modèle traditionnel. Ils ont aimé sans jamais chercher à tout fusionner, préférant la distance complice à la fusion destructrice. Même après leur séparation géographique — lui en Corse, elle à Paris — leur affection est restée intacte. “On ne vit plus ensemble, mais on ne s’est jamais quittés dans le cœur”, confiait Françoise dans une de ses rares interviews.
Aujourd’hui, cette villa corse devient le théâtre d’une solitude choisie mais teintée de nostalgie. Jacques Dutronc, bien que régulièrement visité par son fils Thomas, y mène une vie paisible, loin des caméras. Il profite de la nature, des chats — parfois jusqu’à cinquante, selon Thomas — et du calme infini qui règne sur l’île. Mais derrière cette apparente quiétude, il y a l’ombre d’une femme, l’absence d’une présence essentielle.
Lorsque le soir tombe sur Monticello, que le ciel se pare de rose et d’or, on imagine Jacques, assis sur la terrasse, un verre à la main, la tête un peu penchée, écoutant peut-être une vieille chanson de Françoise. Peut-être “Message personnel”, ou “Mon amie la rose”, qui racontent mieux que quiconque les méandres du cœur, les blessures invisibles, les amours qui ne s’éteignent jamais vraiment. Cette maison devient alors un lieu de mémoire active, un espace de recueillement quotidien où passé et présent cohabitent.
Le fils unique du couple, Thomas Dutronc, parle avec émotion de ces moments partagés avec son père dans la villa. Il évoque souvent la tendresse de Jacques, sa pudeur, sa fidélité au souvenir de Françoise. Si leur histoire n’a jamais été conventionnelle, elle est demeurée profondément sincère. Et aujourd’hui encore, leur lien continue de se tisser, même à distance, dans la bienveillance et le respect.
La villa corse est ainsi devenue bien plus qu’un simple lieu de résidence. C’est une extension de l’âme Dutronc-Hardy. Un endroit où l’on ressent encore le parfum d’une époque, d’un amour discret, pudique, mais puissant. C’est là que Jacques Dutronc, tout en gardant son humour et son regard malicieux, laisse parler sa tendresse et sa fragilité. Il n’a jamais été homme à se répandre en confidences, mais cette maison dit pour lui ce qu’il n’exprime pas toujours à voix haute.
Dans une époque qui célèbre le spectaculaire, Jacques Dutronc choisit le retrait, la retenue, la fidélité aux siens et à lui-même. Sa villa corse est à son image : discrète, authentique, remplie de vie silencieuse. Et si elle est un héritage de Françoise Hardy, elle est aussi un écrin pour leurs souvenirs communs. Une maison devenue mémoire. Une mémoire devenue refuge.