Il y a des sujets que l’on dit tabous. Des thèmes que la bienséance nous interdit d’aborder avec légèreté, de peur de choquer, de blesser ou de paraître irrespectueux. La mort, le deuil, les cimetières… ces mots seuls suffisent à installer une atmosphère pesante. Et puis, il y a Les Bodin’s. Avec eux, la bienséance est jetée aux orties, le tabou est pulvérisé à coups de fourche, et le cimetière devient le théâtre d’une comédie humaine aussi hilarante que profondément juste.
Le duo comique préféré des Français, composé de l’autoritaire et malicieuse Maria Bodin (Vincent Dubois) et de son fils, le grand benêt au cœur tendre Christian (Jean-Christian Fraiscinet), a encore frappé. Dans un sketch mémorable de l’émission “Vivement Dimanche”, nos deux agriculteurs de Touraine nous convient à une “visite au cimetière” qui restera dans les annales. Oubliez le recueillement silencieux et les larmes discrètes. Avec Maria, une visite sur la tombe de son défunt mari se transforme en un bilan comptable de sa vie conjugale, truffé de révélations inattendues et de piques acérées.
“C’est quand il est mort que j’ai compris que c’était l’homme de ma vie”
La scène s’ouvre sur une Maria faussement éplorée, devant la pierre tombale de son “pauvre bounou”. L’émotion est palpable, mais pas celle à laquelle on s’attendrait. “C’est malheureux tu vois,” confie-t-elle à Christian, “c’est quand qu’il est mort que j’ai compris que c’était l’homme de ma vie.” Une prise de conscience tardive qui pourrait être touchante, si elle n’était pas immédiatement suivie d’un aveu désarmant de franchise : “Qu’est-ce que j’ai pu l’emmerder ton pauvre père. Fallait qu’il soit patient tu sais.”

En une phrase, le ton est donné. Maria n’est pas là pour idéaliser le disparu, mais bien pour refaire le match de sa vie, avec la mauvaise foi et le franc-parler qui la caractérisent. Le cimetière devient une scène de théâtre où elle est à la fois la veuve, la juge et la procureure. Christian, fidèle à lui-même, tente de suivre les raisonnements sinueux de sa mère, oscillant entre l’incompréhension totale et la naïveté touchante.
La visite se poursuit, et chaque élément du décor est prétexte à une digression comique. La Toussaint ? Une fête commerciale, bien sûr ! “La Toussaint, c’est devenu comme la Saint-Valentin,” analyse Maria avec une logique implacable. “Je me demande si ça peut être inventé par Interfleur pour vendre des fleurs.” L’absurdité de la remarque, si typique de cette France rurale et méfiante que Les Bodin’s dépeignent avec tant de tendresse, fait mouche. Le public rit, non pas de la mort, mais de notre façon si compliquée de la ritualiser.
L’arnaque des pompes funèbres : “8000€ le circueil !”
Mais le véritable cheval de bataille de Maria, le sujet qui la fait sortir de ses gonds, c’est le coût de la mort. Le deuil, oui, mais pas à n’importe quel prix. Avec un sens du détail très terre-à-terre, elle raconte son passage chez les pompes funèbres, et le sketch bascule dans la satire sociale pure.
“Oh les fumiers !” s’exclame-t-elle, l’indignation vibrant dans sa voix. “Oh les bandits qu’a là-dedans ! Ils en font un pognon sur la mort des gens !” Le chiffre tombe, précis comme un couperet : “8000€ le circueil !” Une somme astronomique pour la fermière, qui voit là l’arnaque du siècle. C’est ici que le génie des Bodin’s éclate : ils connectent l’intime (le deuil) au social (la précarité, le sentiment d’injustice).
Maria ne s’arrête pas là. Prévoyante, elle a déjà tout planifié pour son propre départ et met en garde son fils, ce grand naïf qui pourrait se laisser berner. “Christian, je te l’ai déjà dit, le jour où je vois casser ma pipe, ne te fais pas intuber par les P.F. !” Le mot est lâché, le juron se mêle à la tendresse maternelle. Elle insiste, lui donnant des conseils pratiques : “Fait bien attention à pas te faire arnaquer par les pompes funèbres. Parce qu’ils ont l’habitude, ils savent qu’avec le chagrin, on réfléchit moins bien… et surtout on compte moins bien !”
Cette peur de “se faire avoir”, même dans la mort, est un ressort comique puissant parce qu’il est universel. Qui n’a jamais été décontenancé par le business qui entoure les funérailles ? Les Bodin’s osent le dire tout haut, avec leurs mots, leur accent, et leur bon sens paysan.
Du rire aux larmes… de rire
Le sketch ne serait pas complet sans une touche de poésie absurde, typiquement “Bodin’s-esque”. En contemplant la tombe, Maria se laisse aller à une réflexion logistique sur l’au-delà, ou plutôt, sur le confort post-mortem de son défunt mari. Elle s’inquiète de sa position dans le cercueil : “Plutôt su’ à gauche, comme dans notre lit. Hein ! Comme ça, s’il se lève puis pour aller pisser, ben il sera du bon côté au moins.”

Cette image, à la fois grotesque et étrangement tendre, provoque l’hilarité. Elle humanise le défunt, le sort de sa condition de mort pour le ramener à ses petites habitudes de vivant. Et, dans un dernier éclair de lucidité teinté d’humour noir, Maria conclut : “Oh enfin, tu me diras, le pauvre bounou… il est sûrement moins emmerdé par sa prostate depuis qu’il a deux mètres de terra sur le béonia !”
C’est là toute la force des Bodin’s. Ils parviennent à nous faire rire aux éclats sur un sujet grave, non pas par moquerie, mais en soulignant l’absurdité de la vie qui continue, avec ses tracas quotidiens (la prostate) qui semblent soudain bien dérisoires face à l’éternité.
Ce sketch, diffusé dans le cadre feutré de “Vivement Dimanche” chez Michel Drucker, est une bouffée d’air frais. Il nous rappelle que le rire est la meilleure des politesses face au désespoir. Maria et Christian, avec leurs querelles, leur amour vache et leur vision du monde si particulière, sont devenus des membres de notre propre famille. Ils sont les grands-parents, les oncles et tantes d’une France qui n’a pas peur de dire les choses, quitte à être politiquement incorrecte.
En sortant du cimetière, le spectateur n’est pas triste. Il est ragaillardi. Il a ri, de bon cœur, d’un sujet qui, d’ordinaire, plombe l’ambiance. Les Bodin’s ont réussi leur mission : désacraliser la mort pour mieux célébrer la vie, avec ses défauts, ses arnaques, et ses souvenirs impérissables. Un véritable tour de force, qui confirme, s’il en était besoin, que l’humour est et restera toujours le meilleur moyen de supporter l’insupportable.