La France se réveille sous le choc ce 24 avril 2011. Marie-France Pisier, l’actrice au regard vert perçant, à l’intelligence vive et à la liberté farouche, est morte. Son corps a été retrouvé par son mari, Thierry Funck-Brentano, au milieu de la nuit, flottant entre deux eaux dans la piscine de leur résidence de Saint-Cyr-sur-Mer.

Elle a 66 ans. Mais les circonstances de sa mort glacent le sang et ouvrent la porte à toutes les spéculations. L’icône du cinéma d’auteur n’est pas simplement tombée. Son corps est retrouvé incroyablement enchevêtré dans une lourde chaise de jardin en fer forgé, comme si une mise en scène macabre avait été orchestrée. Accident, suicide, ou meurtre ? Dix ans plus tard, les révélations explosives de sa nièce, Camille Kouchner, viendront jeter une lumière crue et dévastatrice sur cette fin tragique, transformant le mystère en une possible affaire d’État et de famille où le silence et le pouvoir ont peut-être eu raison d’une femme qui n’a jamais voulu se taire.

Lorsque les secours arrivent sur place, la scène est surréaliste. Sortir le corps de l’eau est une épreuve. La chaise, dont l’assise a été retirée, emprisonne le torse de l’actrice. Les premières constatations des enquêteurs écartent rapidement la piste d’une intrusion. Aucune trace d’effraction, aucune herbe foulée. L’enquête s’oriente alors vers trois hypothèses. La première, celle de l’accident, semble plausible en surface. L’autopsie révèle un taux d’alcoolémie de 1,6 g/L et la présence d’antidouleurs opiacés, un cocktail potentiellement dangereux. Marie-France souffrait d’une sciatique douloureuse. Aurait-elle fait un malaise en tentant de s’asseoir sur cette chaise stockée pour l’hiver, basculant dans l’eau froide ? Le scénario est séduisant, mais il bute sur un obstacle de taille : la reconstitution. Les plongeurs de la gendarmerie tentent à plusieurs reprises de reproduire la position du corps, en vain. Il semble matériellement impossible de se retrouver accidentellement dans une telle posture. De plus, un détail crucial intrigue : Booba, le chien du couple, connu pour aboyer frénétiquement au moindre “plouf” dans la piscine, est resté étrangement silencieux cette nuit-là.

La deuxième hypothèse, celle du suicide, prend alors le dessus. C’est la version que son mari et sa sœur aînée, Éveline Pisier, finiront par privilégier. Marie-France venait d’apprendre la récidive de son cancer du sein, une maladie qui avait emporté sa propre mère, Paula, qui avait elle-même mis fin à ses jours. L’actrice, confrontée au déclin de sa carrière et à la maladie, aurait-elle choisi de suivre la même voie tragique ? L’idée d’un geste volontaire expliquerait le silence du chien : elle serait entrée dans l’eau doucement, sans bruit, jusqu’à perdre pied, la chaise agissant comme un lest. Pourtant, pour ses amis les plus proches, ce scénario est une insulte à sa mémoire. Marie-France, qui avait terriblement souffert du suicide de ses deux parents, n’aurait jamais infligé une telle douleur à ses propres enfants, qu’elle appelait “l’essentiel de sa vie”. De plus, une femme de son caractère, si elle avait choisi de partir, n’aurait-elle pas laissé une lettre, un mot pour expliquer l’inexplicable ? Laisser ses enfants dans une telle souffrance, sans un adieu, ne lui ressemblait pas.

C’est ici que l’histoire bascule, et que la mort de l’actrice prend une dimension bien plus sombre. Pour comprendre, il faut remonter trois ans en arrière, en 2008. Marie-France et sa sœur Éveline, autrefois fusionnelles, sont déjà en froid. C’est alors qu’Éveline lui révèle un secret monstrueux, un séisme qui va faire exploser le clan. Son fils Antoine, alors adolescent, lui a avoué avoir été abusé sexuellement et de manière répétée par son beau-père, le politologue Olivier Duhamel. Les faits se seraient déroulés dans la grande propriété familiale de Sanary-sur-Mer, ce lieu censé être un havre de paix, un “monde du bonheur” où l’intelligentsia de gauche se retrouvait chaque été.

Pour Marie-France, la nouvelle est une déflagration. Sa réaction est immédiate, sans la moindre ambiguïté : il faut agir, parler, porter plainte. Elle, la femme libre, l’insoumise, ne peut tolérer qu’on étouffe une telle abomination. Mais la réaction de sa sœur la anéantit. Éveline choisit de rester avec son mari. Elle choisit le silence, la préservation du statut social, l’omerta. “On cache ça chez nous”, aurait-elle décidé. Pour Marie-France, c’est l’ultime trahison. Comment sa sœur, cette femme qu’elle a tant admirée, peut-elle sacrifier son propre fils sur l’autel des convenances ? La rupture est totale, définitive. Les deux sœurs ne se parleront plus jamais.

Dès lors, Marie-France Pisier part en croisade. Elle ne vivra plus que pour une chose : que la vérité éclate. Elle devient, selon les mots de son amie Marie Jaoul de Pongeville, le chef d’une petite armée de “soldats” chargés de propager la rumeur, de briser le mur du silence qui protège Olivier Duhamel. Elle en parle à tout le monde, dans la rue, à des inconnus, inlassablement. Elle veut que le tout-Paris sache. Peu avant sa mort, elle franchit une nouvelle étape. Elle dit à sa nièce Camille Kouchner qu’il est temps de parler à son père, Bernard Kouchner. “Si ta mère ne fait rien, ton père lui, réagira”, lui assure-t-elle. Elle est déterminée à le faire elle-même si Camille n’ose pas. Elle n’en aura pas le temps.

Cette croisade pour la vérité est-elle la clé du mystère de sa mort ? Certains de ses proches en sont convaincus. “Quelqu’un a voulu la faire taire, c’est clair pour moi”, affirme son amie. La piste du meurtre, écartée par l’enquête, mérite d’être réexaminée à la lumière de ces faits. Le chien n’a-t-il pas aboyé parce qu’il a été drogué ? Aucune analyse toxicologique n’a été faite. Les ecchymoses retrouvées sur son corps ont été attribuées aux tentatives de réanimation, mais peut-on vraiment dater des bleus avec une telle précision ? Ne pourraient-ils pas être les stigmates d’une lutte ? Le fait qu’il ait plu cette nuit-là a pu effacer d’éventuelles traces d’un intrus.

L’enquête, conclue après 18 mois sur l’hypothèse “la moins insatisfaisante” du suicide, laisse un goût d’inachevé. La cérémonie d’adieux, puis l’enterrement, ne font que renforcer le malaise. Aux obsèques, Olivier Duhamel se tient à l’écart, caché derrière un pilier. L’ultime offense viendra de son inhumation, non pas à Paris près de sa mère comme elle l’aurait souhaité, mais dans le caveau familial des Brentano-Duhamel, cette famille qu’elle avait fini par haïr, aux côtés de l’homme dont elle voulait révéler les crimes. “On lui a tout volé”, dira une amie.

Aujourd’hui, la mort de Marie-France Pisier reste une énigme. Mais grâce au courage de sa nièce Camille Kouchner et à son livre “La Familia grande”, son dernier combat a pris tout son sens. Elle n’aura pas réussi à faire éclater la vérité de son vivant, mais sa mort suspecte, ses questions laissées sans réponse, et sa détermination sans faille ont planté les graines d’une révélation qui a secoué la France bien des années plus tard. Elle nous laisse l’image d’une femme d’une intégrité absolue, une combattante qui, jusqu’à son dernier souffle, a refusé de se soumettre à la loi du silence. Une mort mystérieuse, à l’image de sa vie : complexe, passionnée et résolument insoumise.